
Comprendre la taxonomie verte
La taxonomie européenne compte parmi les outils devant permettre à l'UE d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais en quoi consiste-t-elle ?
ESG / RSE
Secteurs d'activité



Ce qu'implique l'objectif de neutralité carbone
Pourquoi on parle sans cesse de "neutralité carbone 2050"
La raison pour laquelle cet objectif est irréaliste sur le plan purement pratique
Comment nous pouvons le "recycler" de manière constructive
Vaclav Smil, dans "2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible" (Éditions Arpa)
Scientifique, auteur et professeur à l'Université de Manitoba (Canada)
Aussi désignée par l'expression "zéro émission nette" ou "net zéro", la neutralité carbone ("carbon neutrality" en anglais) est un point d'équilibre. Il s'agit du moment à partir duquel les émissions de dioxyde de carbone (CO₂) rejetées deviennent égales aux émissions absorbées par les puits de carbone naturels.
Or, ainsi que le souligne Carbone4, "les émissions mondiales de CO₂ sont aujourd’hui cinq fois trop élevées pour espérer atteindre cet objectif".
Carbone4
avril 2020
Pour rappel, l'Accord de Paris se trouve à l'origine de la fixation de ces seuils de + 1,5 °C et + 2 °C. Il s'agit de :
Malheureusement, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a reconnu le 22 octobre 2025 que l’objectif des 1,5 °C serait très probablement dépassé dans les années à venir. Pour rappel, si nous avions voulu limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, le niveau de nos émissions de gaz à effet de serre aurait dû culminer avant 2025 au plus tard et diminuer de 43 % d'ici 2030.

L'expression "neutralité carbone" prête parfois à confusion, car elle sous-entend que cet équilibre devrait se cantonner aux émissions de dioxyde de carbone (CO₂). Mais la réalité est plus complexe.
En 1997, le Protocole de Kyoto avait identifié les six gaz à effet de serre principalement responsables du réchauffement climatique :
Lutter efficacement contre le réchauffement implique de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de façon générale. Sachez que certaines entités font référence à la réduction pérenne de l'ensemble de nos émissions, y compris lorsqu'elles utilisent le terme de "neutralité carbone". C'est le cas, par exemple, du Ministère de la Transition Écologique en France.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que les gaz à effet de serre (GES) sont - pour certains d'entre eux au moins - des éléments naturellement présents au sein de notre atmosphère. Le CO₂, par exemple, est un gaz que nous émettons tous et toutes en respirant. Le problème ne tient pas tant aux gaz à effet de serre naturels eux-mêmes, qu'au fait que :
Autre problème : contrairement à ce que nous pourrions peut-être penser, les gaz à effet de serre mettent un temps considérable à disparaître.
Parlement européen
24 mars 2023
Bien sûr, l'effet de serre est nécessaire à la vie sur Terre. Sans lui, la température moyenne serait beaucoup trop froide (comme sur Mars) pour que nous puissions survivre.
Hélas, nous avons accumulé tant de gaz au sein de notre atmosphère que la puissance de l'effet de serre s'accroît désormais, et fait grimper la température moyenne au point de venir modifier le climat. Si rien n'est fait pour enrayer la machine, l'emballement de l'effet de serre pourrait menacer la survie de nombreuses espèces, y compris l'espèce humaine.
Pour la petite histoire, il existe, au sein de notre système solaire, une planète ayant déjà fait l'objet d'un emballement de son effet de serre : la planète Vénus. Bien que les conditions de cet emballement demeurent obscures, le cas d'étude n'en est pas moins instructif. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter notre article dédié.
| Gaz à effet de serre (GES) | Durée de vie approximative dans l'atmosphère |
|---|---|
| CO₂ | Entre 100 et 1000 ans, voire 10 000 ans selon les sources |
| CH₄ | 12 ans |
| N₂O | 114 ans |
| HFCs | Plus de 270 ans |
| PFCs | Entre 2 600 et 50 000 ans |
| NF3 | 740 ans |
| SF₆ | 3 200 ans |

Vaclav Smil, dans "2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible" (Éditions Arpa)
Scientifique, auteur et professeur à l'Université de Manitoba (Canada)
Rappelons que la transition énergétique qui nous attend (des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables et nucléaire) sera seulement la deuxième de l'histoire de l'Humanité. Et que la première (de la biomasse vers les combustibles fossiles) n'est toujours pas achevée dans de nombreuses régions du monde (en Asie, en Afrique ou encore en Amérique latine).
Plus de 200 ans après le début de la révolution industrielle, la première transition énergétique poursuit son cours. Et nous avons tout intérêt à ne pas mépriser les enseignements de cette première épopée...
Vaclav Smil, dans "2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible" (Éditions Arpa)
Scientifique, auteur et professeur à l'Université de Manitoba (Canada)
Vaclav Smil, dans "2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible" (Éditions Arpa)
Scientifique, auteur et professeur à l'Université de Manitoba (Canada)
Vaclav Smil, dans "2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible" (Éditions Arpa)
Scientifique, auteur et professeur à l'Université de Manitoba (Canada)
Oui, nous devrions atteindre la neutralité carbone à l'échelle mondiale en 2050 pour maintenir la hausse de la température moyenne sous la barre des 2 °C. C'est la vérité. Et cette vérité nous donne donc un point de repère ô combien utile pour anticiper les conséquences liées au dépassement plus que probable de ce seuil - ce qu'on appelle "l'adaptation au réchauffement climatique".
Ce qui ne veut pas dire qu'il faut baisser les bras : l'atteinte de la neutralité carbone demeure un objectif essentiel au futur de notre civilisation. Et le plus tôt sera le mieux. Que des entreprises travaillent à aligner leur trajectoire de décarbonation sur l'objectif 2050 est une excellente chose, pour elles comme pour la collectivité. D'une part, parce qu'elles devront de toute façon en passer par le stade de cette transition "imposée", et d'autre part, parce que nous devons simplement travailler à décarboner notre société aussi vite possible. 2030, 2040, 2050... Peu importe. Aussi vite qu'il nous est possible de le faire.

Pour parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques et leur absorption, nous pouvons activer deux leviers :
La réduction des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine constitue une priorité absolue. Plus encore : une nécessité à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire, tant le plafonnement mondial des émissions générées s'impose comme une condition sine qua non à la limitation du changement climatique.
La quantité de gaz à effet de serre aujourd'hui accumulée au sein de notre atmosphère est devenue telle que nous devons impérativement mettre un terme à ce phénomène d'accumulation - du moins dans les proportions actuelles. Faute de quoi, les puits de carbone seront impuissants face à l'ampleur de la tâche.
Pour parvenir à la neutralité carbone, nos sociétés doivent donc entamer leur transition écologique. Concrètement, cela signifie qu'elles doivent travailler à développer de nouveaux modes de fonctionnement : accomplir leur transition énergétique en abandonnant le plus vite possible l'exploitation des énergies fossiles, élaborer de nouveaux modèles (à l'image de l'économie circulaire), encourager l'ensemble des acteurs de la société à opérer leur propre transition (à l'image des aides financières permettant aux plus petites structures de réaliser leur Bilan Carbone®)... La liste est longue.
S'engager en faveur de l'objectif de neutralité carbone mondiale implique se lancer dans un chantier de grande ampleur. Dans un monde qui, depuis la révolution industrielle, a fondé l'entièreté de ses mécaniques sur l'exploitation démesurée des énergies fossiles, la transition écologique impose à chacun et chacune de remettre en question les habitudes de vie et de consommation qui font notre quotidien depuis toujours. Et pourtant, opérer une telle transition pourrait nous être bénéfique à plus d'un titre. Au-delà du fait de protéger l'environnement qui nous permet tout simplement d'exister (ce qui n'est pas le plus petit des avantages), décarboner nos modes de fonctionnement pourrait par exemple nous permettre de consommer des produits de meilleure qualité, cultivés ou fabriqués à proximité par des acteurs locaux, susceptibles de dynamiser ainsi le tissu économique régionale.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre s'effectue à tous les niveaux de la société, et tout le monde peut participer. Bien entendu, les actions qui peuvent être entreprises différent à chacun de ces échelons. Mais cela ne signifie pas qu'agir est impossible. Parmi les initiatives qui peuvent être prises :
Les puits de carbone naturels ponctionnent le dioxyde de carbone de l'atmosphère de manière purement mécanique, sans que l'Homme n'ait à intervenir. Pour rappel, les principaux puits de carbone naturels sont les forêts, les océans, les tourbières et les marais côtiers.
En veillant simplement à la protection de ces écosystèmes, nous bénéficions du soutien de notre propre environnement dans la réduction des émissions responsables du changement climatique.
Or, ladite protection n'a rien d'une évidence. Outre le fait que la déforestation continue dans certaines zones - à l'image de l'Amazonie - les incendies rendus plus fréquents par les épisodes de sécheresse viennent également menacer nos forêts. Une réalité d'ailleurs soulignée par le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son communiqué du 27 septembre 2024.
Haut Conseil pour le Climat, 27 septembre 2024
Communiqué de presse
De la même manière, le niveau de saturation atteint par nos océans mettent à mal le fonctionnement de ce dernier en tant que puits de carbone. Enfin - et pour ne rien arranger - nos puits de carbone ont déjà emmagasiné une telle quantité de nos émissions de CO₂ excédentaires que leur capacité d'absorption diminue désormais. À titre d'exemple, les forêts françaises absorbent aujourd'hui deux fois moins de CO₂ qu'il y a dix ans.
En vérité, l'urgence à laquelle nous faisons face est devenue telle qu'il semble quasiment impossible de compter sur la seule aide de nos puits de carbone naturels (déjà bien mal en point).
ADEME
mars 2022
Dans ce contexte, la création et le développement de puits de carbone artificiels semble donc s'imposer. Problème : la mise en œuvre d'une telle technologie est encore loin d'être évidente. À tout le moins, dans des proportions qui permettraient de soutenir l'effort auquel nous devons consentir.
D'une part, la technologie de captage du CO₂ n'est pas nécessairement aboutie (notamment le Direct Air Carbone Capture and Storage (DACCS) qui doit capter le CO₂ dans l’air ambiant). Et d'autre part, il ne faudrait pas que certains et certaines aillent s'imaginer que les puits de carbone vont pouvoir régler le problème à eux tous seuls. Ceci sans compter les risques induits (en particulier sismiques), qui doivent encore faire l'objet d'études approfondies.
ADEME
mars 2022
Sans dramatisation aucune, on peut raisonnablement affirmer que parvenir à cet équilibre entre les émissions générées et absorbées constitue l'un des plus grands défis du 21ème siècle. Face à cette réalité, la mobilisation s'organise :
Bien sûr, les situations de ces différents pays (ou groupe de pays) diffèrent à de nombreux égards. Même si la problématique posée par le changement climatique, elle, demeure inchangée.
Baptiste Langlois, 5 décembre 2023
L'Express
Le GIEC (ou Groupe Intergouvernemental d'Experts pour le Climat) établit une légère nuance entre les expressions "neutralité carbone" et "zéro émission nette", lorsque celles-ci s'appliquent à des territoires plus ciblés. À l'échelle mondiale, les termes sont équivalents. Mais à une échelle plus ciblée, l'expression "zéro émission nette" se rapporte aux émissions et aux absorptions sous le contrôle direct ou la responsabilité territoriale de l'entité déclarante - là où la neutralité carbone englobe les émissions et les absorptions à l'intérieur et au-delà du contrôle direct ou de la responsabilité territoriale de cette dernière.
Non, une entreprise ne peut pas être neutre en carbone. Les marques qui utilisent cet argument font preuve au mieux de méconnaissance au sujet de la neutralité carbone, au pire de malhonnêteté vis-à-vis de leurs clients ou de leurs consommateurs. Il s'agit donc de greenwashing. En revanche, une entreprise peut bel et bien contribuer à l'objectif mondial de neutralité carbone. Prenons l'exemple d'une entreprise quelconque, qui mesure ses émissions chaque année, met en œuvre une démarche de réduction desdites émissions, et soutient des projets de contribution carbone afin de pallier à ses émissions résiduelles... En toute objectivité, la démarche d'une telle entreprise est déjà louable. Pour autant, d'un point de vue purement cynique, on pourrait aussi dire qu'en faisant bien ses comptes, une telle entreprise peut facilement "viser le zéro net" chaque année. Il lui suffirait, pour cela, de conserver l'équilibre entre émissions rejetées et la "compensation" - ce qui ne l'inciterait donc pas tellement à réduire son empreinte carbone. Or, atteindre la neutralité carbone à l'échelle mondiale implique surtout que nous réduisions collectivement nos émissions de gaz à effet de serre.
Les avis au sujet de la contribution carbone sont très partagés. C'est la raison pour laquelle nous conseillons de la considérer comme une forme de "bonus" : une initiative à laquelle vous pouvez participer si vous souhaitez aller plus loin que la réduction des émissions de votre entreprise. En aucun cas, cependant, la contribution carbone ne peut intervenir (et se révéler pertinente) si un plan de transition n'a pas été préalablement mis en place. Concrètement, une fois qu'une entreprise a réduit au maximum les émissions de gaz à effet de serre issues de son activité, il demeure une quantité résiduelle de ces émissions, qui ne peuvent véritablement pas être évitées. La contribution carbone vise à venir "compenser" ce petit montant d'émissions "inévitables" et équilibrer la balance in fine. Il ne s'agit cependant pas d'une forme de droit à polluer. Compte tenu de ce qui a été expliqué précédemment quant à l'état de notre atmosphère, on comprend vite que se reposer sur les puits de carbone sans chercher à réduire au préalable ses émissions constituerait un non-sens absolu. Il est à noter que l'acuité de l'estimation du bénéfice obtenu via les projets de contribution carbone demeure sujet à débat pour les professionnel.le.s de ce milieu.