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En 2023, la France est devenue le premier pays au monde à interdire certains vols intérieurs pour des raisons purement écologiques. Une mesure qualifiée d’historique, avec un impact non négligeable : selon la Base Carbone® de l’ADEME, un avion court-courrier émet 0,258 kg de CO₂e par passager et par kilomètre.
Mais la réalité est plus nuancée : l’interdiction ne concerne que 3 liaisons sur 108, soit à peine 0,01 % des émissions nationales. Elle crée aussi une inégalité flagrante entre voyageurs contraints de prendre des trains toujours plus chers et usagers de jets privés, qui continuent de voler sans aucune restriction — alors que ces vols sont bien plus polluants.
Non, la France n’a pas totalement arrêté ses vols intérieurs. La loi entrée en vigueur en 2023 interdit seulement trois liaisons aériennes, lorsque le train propose une alternative directe en moins de 2h30.
En France, c’est le décret n° 2023-385 publié au Journal Officiel du 23 mai 2023 qui a officiellement acté la suppression de certains vols intérieurs. Le décret s’applique ainsi pendant trois ans. Une évaluation sera effectuée par le ministre de l’aviation civile, 24 mois après son entrée en vigueur. Cette mesure faisait partie des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat retenues par le gouvernement et inscrites dans la loi Climat et Résilience de 2021. Sa mise en application a ensuite été validée en décembre 2022 par la Commission européenne, la consultation du public et le Conseil d’État.
En fait, l’adoption de cette mesure est fondée sur l’article 20 du Règlement n° 1008/2008 européen sur les services aériens stipulant que « lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement », un État membre peut :
La Convention citoyenne pour le climat proposait de supprimer les vols pour lesquels une alternative bas-carbone de moins de 4 heures existe, soit 22 lignes. Mais selon l’article 1 du décret n° 2023-385, seuls trois vols réguliers sont finalement interdits. Cette restriction s’applique à toutes les compagnies opérant en France, sur les liaisons suivantes :
En effet, ces lignes de train ne respectent pas encore le dernier critère : assurer des trajets tôt le matin et tard le soir.
Pour que l’alternative ferroviaire soit jugée valable, les conditions suivantes doivent être remplies :
Tout d'abord, les liaisons vers l’Outre-mer et la Corse ne sont pas concernées par l'interdiction.
Malgré l’interdiction, plus d’une centaine de liaisons demeurent accessibles, étant donné qu'il n'existe pas de substitut ferroviaire direct en dessous de 2h30. C'est notamment le cas pour les trajets suivants : Paris-Nice, Lyon-Toulouse, Paris-Marseille, Strasbourg-Toulouse, Paris-Strasbourg, etc…
La France devient le premier pays au monde à interdire certains vols intérieurs pour des raisons écologiques. En effet, l’empreinte carbone d’un avion court courrier est beaucoup plus importante qu’un vol long courrier. Le transport aérien domestique est la configuration la plus polluante en termes d'émissions par kilomètre/passager :
C’est une première mondiale, car cette mesure crée un précédent, c’est-à-dire une première fois historique qui pourrait inspirer d’autres pays à faire pareil – et transforme une recommandation écologique en obligation légale contraignante.
Plusieurs dérogations au fait de prendre l’avion sur de courtes distances existent, ce qui rend cette mesure moins efficace, pour plusieurs raisons :
En tenant compte de ces exceptions, il devient évident que l'interdiction des vols de courte distance soulève réellement plusieurs enjeux d'équité sociale et d'efficacité écologique.
La suppression de ces trois liaisons devait permettre le développement des transports bas-carbone, à améliorer la maintenance du réseau ferroviaire français et aussi à encourager une réduction du coût des billets. Alors qu’en est-il réellement ?
Cette mesure crée une inégalité de traitement flagrante entre différentes catégories de voyageurs.
Bien que les voyageurs ordinaires soient désormais exclus des vols sur ces trajets, les utilisateurs de jets privés continuent de voyager sans restriction en jet privé. Simultanément, aucune initiative n'a été mise en place pour rendre l’alternative ferroviaire plus accessible. Au contraire, et de façon concomitante, le tarif des billets de TGV a quasiment grimpé de 10 % en deux ans (Le Monde, 2025) – et la vétusté des installations entraîne toujours des retards et incidents en cascade.
À l’inverse, ceux qui ont une situation financière plus confortable, et qui voyagent surtout pour leur plaisir, ne verront quasiment pas leur quotidien affecté.
En 2019, les vols intérieurs français étaient à l’origine de 4,8 millions de tonnes de CO₂eq., soit 4 % des émissions du secteur des transports – près de deux fois moins sans la prise en compte des vols vers l’Outre-mer (Commissariat Général au Développement Durable, 2022).
La mesure d’interdiction actuelle ne concerne que 5 000 vols sur 200 000, soit environ 2,6 % des émissions des vols intérieurs, ce qui correspond à une réduction de seulement 0,01 % des émissions nationales. Son effet climatique reste donc extrêmement limité.
De plus, en France, les émissions de CO₂eq. liées aux vols intérieurs ont augmenté de 4% en 2024 par rapport à l'année précédente, atteignant 21,2 millions de tonnes de CO₂eq. (transport environ.org, 2025).
Finalement, cette interdiction ne concerne qu'une fraction des vols courts et risque de créer des effets de report vers d'autres moyens de transport moins efficaces ou vers des itinéraires aériens plus polluants. Bien que cette mesure soit louable, elle s’inscrit dans ce qu’on appelle la politique « des petits pas », qui désigne des actions symboliques ou limitées, dont l’impact réel sur les émissions reste faible, et qui évitent de s’attaquer aux causes profondes du problème.
Le rapport de l’association Réseau Action Climat avait étudié la question dans son document intitulé « Climat : que vaut le plan du gouvernement pour l’aérien ? » (2020). Selon l’association, les lignes intérieures les plus émettrices en France sont les suivantes :
Une seule ligne est donc concernée par la décision du gouvernement.
Au-delà de la suppression des vols intérieurs, le Réseau Action Climat propose :
Ainsi, une approche plus équitable et efficace pourrait inclure une taxation progressive du carbone aérien qui toucherait tous les vols sans exception, avec des tarifs dégressifs selon les revenus pour préserver l'accessibilité sociale et permettre de développer les mobilités douces.
Transport aérien : les émissions de CO2 des vols intérieurs bientôt compensées, Commissariat Général au Développement Durable, 2022, https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/transport-aerien-les-emissions-de-co2-des-vols-interieurs-bientot-compensees
Vols intérieurs courts : quel avenir, seban avocats, 2025, https://www.seban-associes.avocat.fr/vols-interieurs-courts-quel-avenir/
RÈGLEMENT (CE) No 1008/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, Article 20 du Règlement n° 1008/2008, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32008R1008
Code des transports - Article R6412-21, Légifrance, https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000048324552
L’interdiction des vols intérieurs courts en France, une mesure vidée de sa substance, Le Monde, 2023, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/05/24/l-interdiction-des-vols-interieurs-courts-en-france-une-mesure-videe-de-sa-substance_6174641_4355770.html
Les idées reçues sur l'aviation et le climat, Carbone 4, https://www.carbone4.com/analyse-faq-aviation-climat
« SNCF : quand les prix déraillent ! », sur France 2 : une augmentation de tarif à grande vitesse, Le Monde, 2025, https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/02/13/sncf-quand-les-prix-deraillent-sur-france-2-une-augmentation-de-tarif-a-grande-vitesse_6545414_3246.html
L’aviation européenne émet presque autant de CO2 qu’avant le Covid, transport environ.org, 2025, https://www.transportenvironment.org/te-france/articles/laviation-europeenne-emet-presque-autant-de-co2-quavant-le-covid
Pourquoi le kérosène des avions n'est pas taxé et n' …, L'Usine Nouvelle, 2018, https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-le-kerosene-des-avions-n-est-pas-taxe-et-n-est-pas-pres-de-l-etre.N781264