
Comment instaurer une démarche RSE au sein de son entreprise ?
La RSE, qu'est-ce que c'est ? Définition, avantages, étapes clés de mise en œuvre d'une démarche RSE, exemples… Greenly vous dit tout.
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Directeur développement durable et QSE de Bouygues, administrateur du Shift Project et président du Collège des directeurs de développement durable (C3D), Fabrice Bonnifet nous livre sa vision sans concession d'un monde en transition. Entre urgence climatique et nécessité de refonder nos modèles économiques, il plaide pour l'émergence d'une économie régénérative.
Fabrice Bonnifet : Quelqu'un de célèbre, mais non fréquentable, a dit il y a quelque temps que tous ces sujets, on y vient par opportunité et on y reste par conviction quand on a un certain âge. C'était mon cas aux alentours de 42-43 ans où j'ai eu l'opportunité de voir le fameux documentaire d'Al Gore, "Une vérité qui dérange".
C'est un premier marqueur de la prise de conscience universelle des problématiques climatiques. Une fois que j'ai pu voir ce documentaire, mon patron de l'époque qui l'avait vu avec moi, Olivier Bouygues, on s'est dit qu'il y avait peut-être quelque chose à faire dans ce domaine pour essayer d'accélérer un petit peu la prise de conscience de nos entreprises.
Fabrice Bonnifet : Ce sont des discussions entre personnes qui, à force de regarder l'ampleur du problème, réalisent que c'est grave ce qui se passe. On est juste à un tournant de l'humanité et il nous reste très peu de temps pour agir.
On se dit : qu'est-ce qu'on peut faire à notre échelle, dans notre sphère d'influence ? Dans les entreprises, on a des leviers que les citoyens lambda n'ont pas forcément.
Fabrice Bonnifet : Le GIEC a établi des scénarios. Il y a des scénarios où on baisse rapidement nos émissions, donc ça reste vivable, puis il y a des scénarios où on ne baisse pas et ça va devenir invivable. On est capable de modéliser comment sera le climat dans quelques années si on continue d'émettre autant de CO₂.
Aujourd'hui, on a 420 ppm de CO₂ et on voit déjà les dérèglements climatiques que ça génère. À 1 °C déjà, ça commence à devenir critique avec la rétractation des argiles, les incendies de forêt, etc. À 1,5 °C ça sera pire, et ce n'est pas complètement linéaire. À 2 degrés, ça sera invivable, alors 3, 4, 5 degrés...
Actuellement, on est sur la "bad case", le scénario le plus critique modélisé par le GIEC. Si on veut inverser cette trajectoire, il va falloir ralentir plein de choses.
Fabrice Bonnifet : En proposant quelque chose. Le problème, ce n'est pas de dénoncer. Les scientifiques sont là pour ça. Ça fait 50 ans qu'ils s'époumonnent à nous dire qu'on va dans le mur, en restant sur une base scientifique. On ne va pas leur demander de nous apporter à la fois le diagnostic et le remède.
Si on veut maintenir les conditions d'habitabilité de la planète, il faut rester dans ce qu'on appelle les limites planétaires. Cela veut dire modifier nos modèles de production dans nos entreprises, nos modèles de consommation au niveau des citoyens, et notre régulation pour interdire des choses qui ne devraient plus exister. Et pour que ça soit acceptable par le plus grand nombre, il faut faire la pédagogie.
Fabrice Bonnifet : C'est bien, mais ça arrive juste un contre-retroit tard. C'est un peu comme l'armée de Grouchy à Waterloo. Ça va structurer forcément une autre façon de créer de la valeur, mais l'idée aujourd'hui n'est pas simplement d'attendre les effets du Green Deal pour modifier nos modèles d'affaires. C'est trop tard.
Il faut tout faire en même temps. C'est ça la difficulté. Il faut mettre en place le combo magique du Green Deal, Taxo, CSRD... mais en même temps, il faut modifier les modèles d'affaires, passer de modèles linéaires à des modèles perma-circulaires. On n'a pas le choix. Il faut le mettre en place tout de suite, à grande échelle.
Fabrice Bonnifet : On essaie de réinventer les façons de construire. On essaie d'avoir beaucoup moins d'impact sur les émissions de gaz à effet de serre lorsqu'on construit ou réalise des infrastructures.
Par exemple, quand vous construisez une centrale nucléaire qui va remplacer des centrales au charbon, c'est plutôt mieux pour le climat. Ou lorsqu'on décide d'abandonner des solutions minérales pour des aménagements de rivière au profit de solutions fondées sur la nature. On rend le même service, mais on coule moins de béton. Ou encore en faisant des stations d'épuration biologiques à la place de stations d'épuration physico-chimiques qui nécessitaient beaucoup de béton et d'acier.
La difficulté, c'est de former nos collaborateurs pour qu'ils puissent changer leur façon de faire. Ce n'est pas facile quand vous avez travaillé toute votre vie dans la filière béton et qu'on vous dit que demain vous allez travailler en filière biosourcée.
Fabrice Bonnifet : Les gens sont pour le progrès mais contre le changement. L'innovation, c'est bien quand ça touche les autres. Dans la tête des gens, l'innovation est technologique, mais en fait là, il ne s'agit pas de faire des innovations technologiques la plupart du temps.
Ce qui est assez amusant, c'est que quand on regarde les grands leviers de la construction durable, on réinvente des choses qu'on faisait il y a très longtemps, parce qu'on réinvente le bon sens. On dit "tiens, la pierre c'est mieux que le béton". Mais la pierre, ça fait longtemps qu'on savait que c'était mieux que le béton ! Le bois, on a construit en bois pendant des milliers d'années. Réinventer le bon sens, c'est une forme d'innovation, mais ce n'est pas forcément l'innovation que les gens ont en tête.
Fabrice Bonnifet : Croire que la technologie à elle seule puisse nous sauver est complètement une vue de l'esprit. Qu'elle puisse aider à la marge, sans doute, mais ce n'est pas le premier levier sur lequel je compterais.
Le problème de la technologie, c'est que certes, on peut utiliser les énergies renouvelables ou les voitures électriques pour décarboner le transport, c'est formidable et ça marche. Sauf que ça va déporter les pressions environnementales d'une contrainte vers une autre.
Si toutes les voitures deviennent électriques, est-ce que c'est possible de transformer les 1,7 milliard de voitures thermiques en voitures électriques ? Ce n'est même pas possible, parce qu'il n'y aura pas assez de nickel, de cobalt, de lithium, et surtout pas assez de capacité de production. Et puis les conséquences de l'extraction de tous ces métaux auront des conséquences délétères sur la biodiversité. Et le vrai combat, c'est ça, c'est préserver le vivant.
Fabrice Bonnifet : Le vrai levier pour réussir ce qu'on appelle la transition, qui n'a toujours pas commencé, c'est de faire advenir une société plus sobre, tout simplement, et que ça soit désirable.
Comment faire advenir la sobriété alors qu'elle n'a jamais été l'apanage des humains, qu'on a toujours voulu plus ? C'est culturellement faux. Pendant des milliers d'années, il n'y avait pas cette injonction à la croissance, pas ces énergies fossiles abondantes qui nous ont libérés de contraintes matérielles extraordinaires. Est-ce que les gens étaient malheureux ? Est-ce qu'ils n'aimaient pas vivre ensemble ? Il y a de fortes raisons de penser que non.
Certes, ils vivaient moins vieux, c'est vrai. Mais aujourd'hui, on vit plus vieux mais souvent longtemps malades. C'est toute la question philosophique : est-ce qu'il faut vivre moins longtemps heureux ou très longtemps quand on voit ce qui se passe dans les EHPAD à la fin de notre vie ?
Fabrice Bonnifet : Les récits, madame ! Ça marche super bien, les récits. On est une race d'animaux où on croit aux histoires. On est les seuls d'ailleurs. Et il y a des histoires qui marquent, des histoires auxquelles on a envie de croire.
Fabrice Bonnifet : "On peut être heureux sans détruire la planète." Ça, c'est une belle histoire. Et donc ça nécessite d'avoir des repères culturels qui ne sont pas basés sur le consumérisme, mais sur les relations humaines, sur la redécouverte de la beauté de la nature, de ne pas faire du mal, de la protéger, de ne rien faire, de faire la sieste, de faire des câlins. Ce sont des trucs immatériels, et c'est ça qui rend heureux.
Fabrice Bonnifet : À tous ceux qui m'écoutent. Dans l'entreprise, les gens préfèrent travailler sur des projets qui ont du sens, sur des projets dont ils savent que la résultante sera vraiment de faire du bien à ceux qui vont utiliser l'infrastructure, sans que ce soit au détriment des autres espèces.
On partage la planète avec d'autres êtres vivants, on n'est pas les propriétaires de la planète, on fait partie de la chaîne du vivant. Il faut qu'on apprenne à partager ces espaces, à partager ces ressources que la planète nous donne, et pour les partager, il faut les préserver. C'est un nouveau rapport au vivant, tout simplement.
Fabrice Bonnifet : Par la sensibilisation, par des outils qu'on a mis en place, qui sont des outils très puissants de prise de conscience. Par exemple, on a récemment soutenu la méthodologie de l'IFF de CarbonCat, qui est un modélisateur permettant d'établir des plans d'affaires en respectant les limites planétaires.
Cet outil permet aux entreprises d'établir des plans d'affaires en ayant conscience des limites physiques de la planète. Il vous dit : "Voilà, je vais faire tant de logements ou tant de logiciels. Est-ce que ça passe encore dans dix ans, avec ce qui reste comme droit à polluer et comme ressources physiques ?" Souvent, vous allez vous apercevoir que ça ne passe pas, parce qu'il y a des conflits d'usage ou parce que ça va coûter trop cher.
Le modélisateur vous dit alors : "Soit tu fais une prière – ça peut marcher, mais à Lourdes – soit tu changes le modèle." C'est un outil d'aide à la décision pour réfléchir l'économie différemment. On revient toujours au problème du modèle économique : faire advenir des modèles économiques à visée régénérative, les seuls qui permettront de concilier l'impératif économique et l'impératif écologique.
Fabrice Bonnifet : Ce n'est pas le problème d'embarquer les collaborateurs, c'est le management. Comme disait Deming en 1951. Comment balayez-vous votre escalier le matin ? Vous commencez par le haut d'habitude. C'est mieux, c'est quand même plus facile.
Fabrice Bonnifet : Dès que vous prenez la parole, vous faites de la politique, bien sûr. Aujourd'hui, il y a des gens qui ont du pouvoir et des gens qui ont de l'influence. Je fais partie des gens qui ont de l'influence, mais je n'ai pas de pouvoir.
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