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Écologie
Qu’il s’agisse des COP, salons internationaux, campagnes d’influence ou encore des discours politiques … l’écologie - en tant qu’objet médiatique - serait-elle un brin sensationnaliste ? À trop la mettre en scène, risque-t-on de décrédibiliser l’écologie, ou bien au contraire, est-ce précisément la meilleure façon de sensibiliser un large public ? Quatre experts nous livrent leur opinion.
En 1967, alors que la publicité était au paroxysme de ses “années glorieuses”, Guy Debord, théoricien français, publiait “La société du spectacle”. Une critique de la société contemporaine décrite comme dominée par le “spectacle”. Sous l’impulsion d’un capitalisme moderne transformant le travail, les loisirs et la politique en marchandises, les individus seraient alors réduits au rôle de simples spectateurs passifs, privés d’expériences dans le réel.
Près de six décennies plus tard, force est de constater que l’homme était plutôt visionnaire. Mais surtout, que l’écologie n’a pas échappé à la mainmise du capitalisme. C’est notamment ce qu’explique Clément Sénéchal, diplômé en sociologie et en philosophie politique, ex porte-parole de Greenpeace, dans son récent essai “Pourquoi l’écologie perd toujours” (Seuil). Il y explique comment “l’écologie, fruit de l’environnementalisme, s’est constituée comme une cause des élites” dès les années 70.
Directrice de recherche et autrice de l’ouvrage “Les enfants gâtés & NO CARBON” (Payot), Fanny Parise relie elle aussi la question de la spectacularisation de l’écologie à celle du capitalisme dans une perspective anthropologique.
D’une écologie restrictive et rébarbative, l’éco-responsabilité est devenue désirable, mais surtout l’apanage des classes bourgeoises.
Il suffit effectivement d’ouvrir Instagram et consorts pour découvrir une flopée de marques éco-responsables, savamment mises en scène par des entrepreneurs-influenceurs qui maîtrisent l’art du story telling sur le bout des doigts.
Dans le même temps, des célébrités telles que Mélanie Laurent, Marion Cotillard ou encore Leonardo DiCaprio n’hésitent pas à prêter leur voix aux causes environnementales, ce qui contribue encore davantage à démocratiser le sujet.
Des influenceurs comme Mamadou Dembele de The Impact Story (448K followers) ou encore Camille de Girl go Green (136K followers) ont carrément fait de l’écologie leur engagement premier et le fil rouge de leur ligne éditoriale, tandis que des influenceurs d’envergure comme McFly et Carlito ont récemment organisé des épisodes avec Jean-Marc Jancovici.
Et de citer Léna Situation qui a récemment fait un partenariat avec Amazon…
Le hic, c’est lorsque les célébrités nous invitent à décélérer alors qu’elles continuent à se déplacer en jet privé, ou encore se targuent de contrebalancer leurs trajets en avion en payant le surplus “compensation” jadis proposé à par Easyjet (depuis condamné pour greenwashing).
“Cela crée une forme de dissonance”, poursuit Amélie Deloche. De plus, que ce soit à l’échelle individuelle ou étatique, “il est plus facile de changer ses habitudes quand on a déjà eu beaucoup par le passé…”, souligne Fanny Parise.
Au final, les personnes les plus confrontées au changement climatique sont celles qui sont les plus éloignées du mode de vie capitaliste.
Pour le citoyen-consommateur, voilà autant d’injonctions paradoxales à surmonter, d’autant que la responsabilité environnementale a été totalement déportée sur les individus ces dernières décennies, ce qui explique certainement l’émergence de l’éco-anxiété.
Bref, le système change-t-il vraiment… ou aide-t-on le système à s’adapter de façon superficielle ?
De plus, à force de jouer sur le sensationnel dans les infos, une forme d’habituation de nos cerveaux s’opère. C’est le cas notamment avec la médiatisation des catastrophes naturelles. Pour autant, cette couverture médiatique a le mérite de faire remonter les sujets environnementaux à la Une des médias.
Une étude de la Fondation Jean Jaurès montre que les grands événements comme les catastrophes météorologiques, les rapports du GIEC ou encore les COP sont de bonnes portes d’entrée pour les journalistes afin qu’ils puissent traiter d’autres sujets environnementaux.
En devenant des préoccupations centrales pour les citoyens, les thématiques environnementales deviennent du même coup des sujets dont s’emparent les politiques… avec plus ou moins de détermination. Car si le second quinquennat d’Emmanuel Macron avait promis d'être écologique, “ou de ne pas être”, force est de constater que le sujet a été légèrement éclipsé, d’autant plus avec l’actualité de ces derniers mois.
Pour autant, ne doit-on plus fonder aucun espoir dans tout événement politique ? Pour Juliette Quef, que nenni ! Si l’on s’intéresse notamment au cas des COP, il s’agit de l’un des seuls espaces de négociation internationale autour des enjeux du climat. Il regroupe des dirigeants, des associations, des experts, des intérêts privés (certes)... Pour la COP26, ce sont pas moins de 40 000 personnes qui se sont inscrites.
Pour la Présidente du média Vert, il ne s’agit ici pas de spectacle, mais de politique. Et d’ajouter : “Sans les engagements pris par le passé, bien qu’ils soient insuffisants, on serait déjà à des niveaux de réchauffement plus élevés”. Cette année, tous les regards se tourneront vers le Brésil lors de la COP 30.
Alors, tout compte fait, le problème réside-t-il vraiment dans le narratif choisi pour relater ces événements écologiques ? Pour Dan Geiselhart, Cofondateur du média Climax, il ne faut pas se tromper de débat.
Tenter de toucher un plus large public en vulgarisant le propos, ou en le rendant plus attrayant, n’est donc pas une vaine tentative mais le moyen de toucher le plus grand nombre (à condition d’adopter une approche plus systémique, et de cesser de faire peser la responsabilité sur les individus parce qu’on ne change pas de paradigme sociétal et économique).
Dans le prochain numéro de Climax, l’histoire du Nutriscore va ainsi être racontée façon roman policier. L’objectif ? Embarquer le plus grand nombre de lecteurs dans cette histoire palpitante.
Une écologie qui transcende enfin les partis ? “Peut-être faudrait-il changer le mot écologie, qui est très connoté”, ajoute-t-il.
En somme, la clef réside certainement dans une écologie qui se diluerait dans notre quotidien et chez les politiques. À ce titre, Juliette Quef croit farouchement au travail collectif. Par exemple, celui des journalistes d’investigation, qui, en travaillant avec des personnalités militantes comme Camille Etienne et le député écologiste Nicolas Thierry (entre autres), ont inscrit à l’agenda des députés la réduction des PFAS, ces “polluants éternels” qui étaient jusque lors inconnus au bataillon. Une vraie victoire politique puisque le texte a été adopté il y a peu, transcendant les partis, à l'exception du Rassemblement national.
Aux Etats-Unis, c’est l’entreprise Patagonia qui est venue soutenir la "Campaign for a Safe and Healthy California". L’entreprise a fait don de 500 000 $ pour défendre une loi qui impose une distance minimale entre les puits de pétrole et les zones habitées. Cette loi, actuellement menacée par l’industrie pétrolière, vise à protéger la santé publique, notamment des populations vulnérables.
Le traitement des JO d’hiver sera à ce titre un bon indicateur de la manière dont l’écologie sera - ou non - un sujet prégnant.
Pour l’anthropologue Fanny Parise, l’enjeu central est finalement que ce spectacle médiatique s’accompagne d’une évolution réglementaire et ne serve pas à mettre en avant les acteurs de l’ancien monde, “sans quoi cela n’aurait absolument aucun intérêt. Mais je veux croire à des pratiques émergentes comme celle que j’observe au sein d’une fédération du bâtiment qui invite des militants très engagés à venir co-construire des solutions avec elle”.
Et si c’était en confrontant ces acteurs mainstream à des personnes hors système que l’on pouvait enfin ouvrir une troisième voie, et réussir cette transition ? Et s’il faut en passer par le spectaculaire, qu’il en soit ainsi.