La voix de l'impact

L'actu climat en 5 minutes au format hebdomadaire

Greenlyhttps://images.prismic.io/greenly/43d30a11-8d8a-4079-b197-b988548fad45_Logo+Greenly+x3.pngGreenly, la plateforme tout-en-un dédiée à toutes les entreprises désireuses de mesurer, piloter et réduire leurs émissions de CO2.
GreenlyGreenly, la plateforme tout-en-un dédiée à toutes les entreprises désireuses de mesurer, piloter et réduire leurs émissions de CO2.
Descending4
Home
1
Blog
2
Category
3
L’écologie est-elle devenue un spectacle ?
4
Media > Tous les articles > Politique > L’écologie est-elle devenue un spectacle ?

L’écologie est-elle devenue un spectacle ?

ÉcologiePolitique
Level
Hero Image
Hero Image
un masque
À trop la mettre en scène, risque-t-on de décrédibiliser l’écologie, ou bien est-ce précisément la meilleure façon de sensibiliser un large public ?
Écologie
2025-04-07T00:00:00.000Z
fr-fr

Qu’il s’agisse des COP, salons internationaux, campagnes d’influence ou encore des discours politiques … l’écologie - en tant qu’objet médiatique - serait-elle un brin sensationnaliste ?  À trop la mettre en scène, risque-t-on de décrédibiliser l’écologie, ou bien au contraire, est-ce précisément la meilleure façon de sensibiliser un large public ? Quatre experts nous livrent leur opinion. 

En 1967, alors que la publicité était au paroxysme de ses “années glorieuses”, Guy Debord, théoricien français, publiait “La société du spectacle”. Une critique de la société contemporaine décrite comme dominée par le “spectacle”. Sous l’impulsion d’un capitalisme moderne transformant le travail, les loisirs et la politique en marchandises, les individus seraient alors réduits au rôle de simples spectateurs passifs, privés d’expériences dans le réel. 

Près de six décennies plus tard, force est de constater que l’homme était plutôt visionnaire. Mais surtout, que l’écologie n’a pas échappé à la mainmise du capitalisme. C’est notamment ce qu’explique Clément Sénéchal, diplômé en sociologie et en philosophie politique, ex porte-parole de Greenpeace, dans son récent essai “Pourquoi l’écologie perd toujours” (Seuil). Il y explique comment “l’écologie, fruit de l’environnementalisme, s’est constituée comme une cause des élites” dès les années 70.

Ses militants, les ONG et certains politiques ont fait d’elle un objet de lutte pour privilégiés, morcelable, négociable et, surtout, profitable. Et, ce faisant, ils et elles ont réduit la lutte à une mise en scène, une morale abstraite, éloignée des citoyens et des citoyennes. (Clément Sénéchal)

Quand le capitalisme s’empare de l’écologie 

Directrice de recherche et autrice de l’ouvrage “Les enfants gâtés & NO CARBON” (Payot), Fanny Parise relie elle aussi la question de la spectacularisation de l’écologie à celle du capitalisme dans une perspective anthropologique.

Quand il perd en influence, le capitalisme fait preuve de plasticité et intègre les nouvelles critiques et préoccupations des individus. C’est ainsi que l’écologie est sortie d’une logique militantiste pour venir s’encapsuler dans le spectacle de la société de consommation avec des biens prêts à consommer et bons à penser, nous explique la spécialiste.

D’une écologie restrictive et rébarbative, l’éco-responsabilité est devenue désirable, mais surtout l’apanage des classes bourgeoises.

L’écologie a mené à une distinction sociale où il n’est finalement pas forcément question de consommer moins, mais différemment et parfois beaucoup plus, observe l’anthropologue.
fanny parise

Les réseaux sociaux : caisson de résonance ou temple du greenwashing ?

Il suffit effectivement d’ouvrir Instagram et consorts pour découvrir une flopée de marques éco-responsables, savamment mises en scène par des entrepreneurs-influenceurs qui maîtrisent l’art du story telling sur le bout des doigts.

Dans le même temps, des célébrités telles que Mélanie Laurent, Marion Cotillard ou encore Leonardo DiCaprio n’hésitent pas à prêter leur voix aux causes environnementales, ce qui contribue encore davantage à démocratiser le sujet.

Des influenceurs comme Mamadou Dembele de The Impact Story (448K followers) ou encore Camille de Girl go Green (136K followers) ont carrément fait de l’écologie leur engagement premier et le fil rouge de leur ligne éditoriale, tandis que des influenceurs d’envergure comme McFly et Carlito ont récemment organisé des épisodes avec Jean-Marc Jancovici. 

Mais au final, par peur de se faire clasher, peu d’influenceurs parlent d’écologie. Le choix de McFly et Carlito est judicieux car ils ne s’expriment pas en leur nom. De mon point de vue, les influenceurs ont pourtant une vraie responsabilité sur ces sujets étant donné la force de leur communauté. Ils doivent faire preuve de courage dans leurs choix de partenariats et appliquer un cadre éthique, lance Amélie Deloche, consultante en influence éthique.

Et de citer Léna Situation qui a récemment fait un partenariat avec Amazon…

Une dissonance anxiogène

Le hic, c’est lorsque les célébrités nous invitent à décélérer alors qu’elles continuent à se déplacer en jet privé, ou encore se targuent de contrebalancer leurs trajets en avion en payant le surplus “compensation” jadis proposé à par Easyjet (depuis condamné pour greenwashing).

“Cela crée une forme de dissonance”, poursuit Amélie Deloche. De plus, que ce soit à l’échelle individuelle ou étatique, “il est plus facile de changer ses habitudes quand on a déjà eu beaucoup par le passé…”, souligne Fanny Parise.

Au final, les personnes les plus confrontées au changement climatique sont celles qui sont les plus éloignées du mode de vie capitaliste.

En Occident, il y a une urgence dans le discours qui est omniprésent, mais pas de changements à la hauteur de ce discours. On demande aux individus de modifier leurs habitudes tout en maintenant le système à l’identique, analyse l'anthropologue.
amelie deloche

Pour le citoyen-consommateur, voilà autant d’injonctions paradoxales à surmonter, d’autant que la responsabilité environnementale a été totalement déportée sur les individus ces dernières décennies, ce qui explique certainement l’émergence de l’éco-anxiété

Les campagnes de greenwashing menées dans les années 2000-2010, ont énormément misé sur cette individualisation à travers les éco-gestes. Et beaucoup de consommateurs ont continué à faire confiance aux marques de leur enfance. Mais on n’a clairement pas touché au cœur du réacteur en passant à l’échelle collective et politique, ajoute Fanny Parise.

Bref, le système change-t-il vraiment… ou aide-t-on le système à s’adapter de façon superficielle ?

C’est à la Une !

De plus, à force de jouer sur le sensationnel dans les infos, une forme d’habituation de nos cerveaux s’opère. C’est le cas notamment avec la médiatisation des catastrophes naturelles. Pour autant, cette couverture médiatique a le mérite de faire remonter les sujets environnementaux à la Une des médias.

Une étude de la Fondation Jean Jaurès montre que les grands événements comme les catastrophes météorologiques, les rapports du GIEC ou encore les COP sont de bonnes portes d’entrée pour les journalistes afin qu’ils puissent traiter d’autres sujets environnementaux. 

Autrement, ces sujets ont du mal à percer dans les médias. Et puis, on peut se servir de façon intelligente des inondations de Valence pour évoquer l'artificialisation des sols, et montrer ensuite comment, dans d’autres régions du monde, on est parvenus à améliorer le sujet avec telle ou telle solution, illustre Juliette Quef, journaliste et Présidente du média Vert.
juliette quef

Du politique au grand public 

En devenant des préoccupations centrales pour les citoyens, les thématiques environnementales deviennent du même coup des sujets dont s’emparent les politiques… avec plus ou moins de détermination. Car si le second quinquennat d’Emmanuel Macron avait promis d'être écologique, “ou de ne pas être”, force est de constater que le sujet a été légèrement éclipsé, d’autant plus avec l’actualité de ces derniers mois. 

Pour autant, ne doit-on plus fonder aucun espoir dans tout événement politique ? Pour Juliette Quef,  que nenni ! Si l’on s’intéresse notamment au cas des COP, il s’agit de l’un des seuls espaces de négociation internationale autour des enjeux du climat. Il regroupe des dirigeants, des associations, des experts, des intérêts privés (certes)... Pour la COP26, ce sont pas moins de 40 000 personnes qui se sont inscrites.

Mais pour une fois, tout ce petit monde se rencontre et c’est inédit. Des coalitions peuvent aussi se créer pour sortir des énergies fossiles, bien que les acteurs de ces industries tentent évidemment de peser sur ces débats. C’est aussi en marge de ces événements que l’on entend la voix de la société civile comme lors des manifestations des peuples indigènes durant la COP de Glasgow, relate la journaliste.

Pour la Présidente du média Vert, il ne s’agit ici pas de spectacle, mais de politique. Et d’ajouter : “Sans les engagements pris par le passé, bien qu’ils soient insuffisants, on serait déjà à des niveaux de réchauffement plus élevés”. Cette année, tous les regards se tourneront vers le Brésil lors de la COP 30.

Beaucoup de pays du Sud attendent des engagements, souligne Juliette Quef. 

Et si on se trompait de débat ?

Alors, tout compte fait, le problème réside-t-il vraiment dans le narratif choisi pour relater ces événements écologiques ? Pour Dan Geiselhart, Cofondateur du média Climax, il ne faut pas se tromper de débat.

J’ai envie d’apporter une réponse contre-intuitive à cette question. Je crois que c’est une bonne chose de faire du story telling autour de l’écologie afin de la faire sortir de là où elle est, c’est-à-dire reléguée à une somme d’individus responsables de leurs actes, affirme-t-il.
daniel geiselhart

Tenter de toucher un plus large public en vulgarisant le propos, ou en le rendant plus attrayant, n’est donc pas une vaine tentative mais le moyen de toucher le plus grand nombre (à condition d’adopter une approche plus systémique, et de cesser de faire peser la responsabilité sur les individus parce qu’on ne change pas de paradigme sociétal et économique).

Dans le prochain numéro de Climax, l’histoire du Nutriscore va ainsi être racontée façon roman policier. L’objectif ? Embarquer le plus grand nombre de lecteurs dans cette histoire palpitante.

Bien entendu, la deuxième grande étape, outre ces questions de narratif, est de s’interroger sur la forme d’écologie que l’on veut vraiment. Et là, il est clair qu’il faut passer à une écologie politique qui aille au-delà du bashing ou washing”, poursuit notre interlocuteur.

Une écologie qui transcende enfin les partis ? “Peut-être faudrait-il changer le mot écologie, qui est très connoté”, ajoute-t-il.

Des coalitions inédites pour un nouveau monde

En somme, la clef réside certainement dans une écologie qui se diluerait dans notre quotidien et chez les politiques. À ce titre, Juliette Quef croit farouchement au travail collectif.  Par exemple, celui des journalistes d’investigation, qui, en travaillant avec des personnalités militantes comme Camille Etienne et le député écologiste Nicolas Thierry (entre autres), ont inscrit à l’agenda des députés la réduction des PFAS, ces “polluants éternels” qui étaient jusque lors inconnus au bataillon. Une vraie victoire politique puisque le texte a été adopté il y a peu, transcendant les partis, à l'exception du Rassemblement national.  

Aux Etats-Unis, c’est l’entreprise  Patagonia qui est venue soutenir la "Campaign for a Safe and Healthy California". L’entreprise a fait don de 500 000 $ pour défendre une loi qui impose une distance minimale entre les puits de pétrole et les zones habitées. Cette loi, actuellement menacée par l’industrie pétrolière, vise à protéger la santé publique, notamment des populations vulnérables. 

L’enjeu est réellement de faire en sorte que l’écologie passe dans la vie courante, et ne soit plus un enjeu d’expert porté uniquement durant les grands événements. Il est question de ce que l’on consomme, de l’organisation de notre société, et par delà, de notre rapport au monde, au vivant, conclut la journaliste.

Le traitement des JO d’hiver sera à ce titre un bon indicateur de la manière dont l’écologie sera - ou non - un sujet prégnant.

Pour l’anthropologue Fanny Parise, l’enjeu central est finalement que ce spectacle médiatique s’accompagne d’une évolution réglementaire et ne serve pas à mettre en avant les acteurs de l’ancien monde, “sans quoi cela n’aurait absolument aucun intérêt. Mais je veux croire à des pratiques émergentes comme celle que j’observe au sein d’une fédération du bâtiment qui invite des militants très engagés à venir co-construire des solutions avec elle”. 

Et si c’était en confrontant ces acteurs mainstream à des personnes hors système que l’on pouvait enfin ouvrir une troisième voie, et réussir cette transition ? Et s’il faut en passer par le spectaculaire, qu’il en soit ainsi.